Claudia Carlisky - Concerto pour un visage - Poèmes - 1975 - 1986

Lorsque la mémoire nous sera rendue, 
l'amour connaîtra-t-il enfin son âge ? 
Edmond Jabès 
La mémoire et la main


Le visage nimbé d'existence, la langue altière, tout entière tendue. 


I

UN LONG EXIL MONOCHROME


La douleur éprise d'infini martèle portes et rimes. 


Entre la flamme et le glaive

Brûle la flamme, blesse le glaive.
Le coeur s'exalte ou le coeur saigne.
Mépris ou bien méprise que ces pattes de truie. 
signes de l'enchanteur impondérable ?
Le coeur s'exalte ou le coeur saigne. 
Que choisit-on ? 
La Flamme ou le glaive ? 




La nostalgie du feu 

Une langueur moribonde, 
Une rencontre en petites touches
D'une paresse de malentendus.
Des quiproquos alanguis par la distance
Un manque à être et à se reconnaître.
Des failles idoines. La voix ne porte pas.
La voie ne porte pas tes pas.
De mille détours de l'essentiel au rythme ailé, 
La tache exsangue d'accrocs se pare.

Des fossiles de larmes
Vus à travers un papier glacé, froissé.
Hors d'atteinte. Argent massif. 




Le néant

Le néant vous prend parfois d'une étrange façon.
Il imprime avec des gants 
Plongés dans l'écume du temps
Des ventouses de rien qui vous arrachent la gueule.
Le néant est un hôte discret, irréprochable, 
Qui cache une âme de sangsue. 




Presiones en el ojo del ser viviente
hasta que le quede la cascara.
                  - Ja - 




Derramadas las alas en vientos suburbanos, 
Tupidos los sentidos, altiplano el aliento.
Quizas las alabanzas carcomidas de ausencia
Intemperian audaz clavel de remembranzas. 

Brillantes los destinos, trineantes, tiritantes, 
Tartamudo aleteo, beladona labial, 
Carmin el azafran, paloma derretida.

Azul feroz diluido, 
Trizas de Persia derramadas por el cielo.
Callejuelas de encaje en desmembradas briznas. 




N'écoutez pas ces pleurs monter de la douleur.
Aucun soupir ne vaut l'égarement. 




A la recherche du continent perdu
J'aurai pendant que j'agonise
joué des cieux, joué des nues.

Chaque parcelle de lumière 
est affectée de son contraire.




Frappée d'un mystère aliénant, une crevasse, 
Faille surprise entre deux bosses, 
L'oubli criblé de taches, troublé par le désir.
Sur l'onde une brisure, calme de ricochets, 
Longue et pâle échancrure, installée sur l'ardeur, 
Malmenée par les pleurs.
Calme, sourde à toute plainte, 
Bourgeonnent les oracles, 
Tard, après la mort, délétère, incomprise.
Une litanie de plusieurs siècles, 
En un rituel très précis.
Cataclysmes cycliques compris entre les ondes, 
Soupirs de corail, sempiternelle transhumance.
Ocre
Rouge
Lasse
Ardue
Sourde
Sèche
Ramassée
Désertée
Contenue
Nouée
Trouée
Fissurée
Une terre déchiquetée dont les lambeaux déchirés
Laissent suer Limon, Hymen, Labyrinthe
Palpitant de poreuse nacre boueuse rouge-corail.
Quatre chameaux traversent le ciel, blancs d'écume. 
La gnose originelle caresse leurs échines.
Lourde de soupirs, transhumance amoureuse
Souille le pur azur d'avidité métal.
Clameur de l'inconstance,
Crime d'insouciance, 
Jetée sur l'échancrure, 
Empalée à la tache. 
Dévoiler le mystère, 
Rouille rouge oxyde le temps.
Des effluves d'or amer ruissellent de mon corps 
Que rien ne peut endiguer , 
Dilapide le sort.
Mais Nul n'est pas Rien.
Or, amour mort ressuscite des miasmes amers.
De la vase surgit le glaive et purifie 
L'air de la Loi. 




II 

TRONE LE SPHINX ENCORE



Il est des communions où sourdent les orages, 
d'étranges paradoxes où fleurissent les mots.

Sur les franges du temps, en de trop âpres soupirs, 
Les larmes ont débordé de leur vase d'argile, 
Et le Nil a laissé sur les ailes du désir, 
S'évaporer le bleu, l'obsidienne vers l'exil.

Caïmans à la dérive sur les larges bords du fleuve, 
Lourds d'éternité - rauque, convulsée - 
Les larmes ont apprêté le linceul du bédouin.
Trône le sphinx encore sur les cierges allumés. 




Il laissa poindre un bout d'horizon et c'en fut fini de la paix mousseuse du giron maternel.
Le fil commença à se dérouler tant et si bien qu'il lui fallut sauter puis courir à grandes enjambées pour le rattraper au bout du monde. 
Ses doigts de soie étaient en sang, mus par une hargne frénétique.
Ils glissaient tels des serpents, se heurtaient aux racines excroissantes déracinées, aux griffes des rosiers, se perdaient dans un monticule poreux, parcouraient des labyrinthes préhistoriques, rencontrant des taupes et autres bestioles déroutantes dont la peau muette lui donnait très soif. 
Où est donc ce foutu miroir ? 
tonitruait-il sans encore très bien déchiffrer les sons âpres qui dévalaient de sa gorge. 
Il s'assit près d'un pin, non loin d'une fourmilière. 
Le rythme de son souffle se mêlait au doux sang vermeil qui glissait de ses doigts d'hiver pour former une écume dansante sur la pinède tout autour de lui.
Celle-ci l'enveloppa tel un placenta fort plaisant à en croire le sommeil léger et ondulant qui l'inclina lentement sur le sable.
Il lui avait bien fallu ça pour retourner ses yeux de crisalide en velours de papillon.
D'un pas alerte et sûr, il arriva sans peine sur la rive fraîche d'un ruisseau. 




Sombres orages

Sombres orages assourdis par le tumulte en peine.
L'âme, la gloire, bal de tziganes en fleur. 
Une apoplectique égérie, le visage pétri d'indignité, 
Amorphe paysage érodé par l'orage.
L'eau bleue des cils irriguant la page, 
Suspendue, cherchant du regard les purs.
A travers des songes faméliques
Gravis de lune à lune les échelons de bois. 




Latente particule

Latente particule d'images arrêtées,
Doulce, aliment de l'onde, carrière de Léthé.Jadis abrite un songe au pourtour décharné, 
Carnation des labiales articule : Etre aimé.
Jadis était une âme.
Babylone nie.
Babil honni, 
Babil on nie.
Métastase, cartilage pétrifié, 
Déshéritage atralabial.
Transparence tactile de la chair des mots.
Lactescence gustative, abondante trouée.
Pulpe veinée de lumière au gré du son je sème. 




Les mille miroirs se découragent

Dans l'eau sale de son bain, 
Une jouvencelle se prélasse et s'étire.
Les yeux mi-clos, elle chavire
Dans un monde de strass et de pacotilles
Où des boas duveteux prennent des allures 
De cartomanciennes mal réveillées 
Dont les ongles grossièrement vernissées
Lui prédisent toute sorte de malheurs. 
Dans l'eau sale de son bain, 
Une jouvencelle se prélasse et s'étire
Pour sauter dans le vide d'un oeil 
Couleur d'émeraude et profond comme un puits, 
Un puits qui l'engloutit  
Avec l'eau sale et croupie de son bain. 
Elle tangue un peu, 
Puis file comme comme une anguille
Portée par une curiosité quasi physiologique
Vers le fond de l'oeil
Pour en déchiqueter les nerfs
Pour en sucer le sang
Pour contempler la lune
Dans les réverbérations glauques
Opalescentes du blanc gélatineux
Mais de l'autre côté, dans les coulisses. 
Transposition en arabesque d'une eau trop riche, 
Riche des graisses qui suintent de ce corps immense
De ravins et de crevasses, 
De gorges et de collines irlandaises, 
Sentiers caillouteux, verts, ocres, rouges, 
Patchworks panoramiques, truculences terrestres, 
Tourbillons paroxystiques qui filent vers l'oeuvre, 
Qui filent comme un serpent anguille devin
Vers l'oeuvre émeraude. 
Un regard d'enfant à l'oiseau, 
Une mélancolie de fin de siècle, 
Des couleurs bleu et or doux.
Un enfant qui songe 
Transmet le poids de sa songerie
A l'air qui l'entoure, protecteur. 
Un déchirement du temps, 
L'enchantement de l'atavisme immédiat brisé, 
Rompu par une main impitoyable.
Les mille miroirs se découragent 
Pour laisser la pierre lisse, 

         Vierge

                  noire

                            blanche

             Montrer son aile d'oiseau multicolore

                      Caïman

                 Corail

           Luth

                     ou

                            Cigale  ?   
                




III 

POUR UN VISAGE



Brise d'avenir


Tout cela je le porte en moi
comme des fleurs enrubannées à la ceinture.
Tes baisers, salive de guirlande et sûre eau.
Brise d'avenir.

Au coin des yeux brille la sève.
Demain, austère, l'âme épinglée, 
crépite, ardente, sur son bûcher.
Salve d'étoiles. Lignée vouée à l'exil.

Sempiternelle dérision : inscrire dans la chair 
de l'histoire des épousailles anonymes.
Géante clameur d'argile. 

Epouse de lumière :
Babil, clairière, rédemption. - La grâce - 
De tous les maux coupable, exil légitime.
Brume l'indifférence... Souillure.

Ma colère lève l'ombre
et relève l'homme sincère.
Amertume.
Je souffre des maux de tous.

La plongée, descendant, flétrissure des morts, 
Les 77 degrés de l'ignominie, 
je les franchis de ma pensée.
Relevez-vous, parjures. Je vous absous.
L'inquisition n'aura pas gain de cause.
Les causes sont indélébiles.

Rien ni personne ne pourra échapper
au doux feu de la bonté.




Démence et démesure


A ton axe éclaté
A tes yeux entravés 
A ta beauté lésée
A ton coeur aliéné

J'implore le pardon
de n'avoir su le ton 
de si belle chanson

Et s'il est encore temps
de rêver en chantant
d'amour sans blessures
et sans demi-mesure.

Je sens le mal qui terrasse

qui emporte, qui glace.

Alors file vers mon étoile
et taille lune de cristal
pour qu'aube pleine
lait d'écume
chargée d'embruns et de fruits mûrs
advienne à ta main retrouvée.



De son coeur à main nue


Auréolée de mots j'arpente le désert
Une convulsion suprême en atteint les extrêmes.
Anonyme et transie, à tous yeux délétère

Mon corps qui capitule et moi qui désespère.

C'est une fleur multiforme et sans porte

Elle a le ventre creux et des perles à ses seins.
Son corps est tout ouvert.
De son coeur à main nue

Elle distille les maux, en écume le jour. 

Dans l'oeil du poète, elle trouve la taille.
Et le parfait bonheur à l'ombre de ses mots.
La rage de ton coeur

La page de tes mots
Le ciel peuplé d'oiseaux.
Tu sais que rien n'y fait

Pour détromper le sort
Elle écrit à l'envers
de son or le destin 
De sa fièvre mesure. 





IV

LE BALADIN D'ECUME


Aérien 
Le goût de ton empreinte ne m'est pas une feinte.
J'aspire le vide de ce rien, le soupçon de ce tout.
L'ineffable à mon cou me délivre du loup. 




Sur la pointe des pieds j'ai entrouvert ton coeur
Et j'y ai déposé des larmes de bonheur. 




Derrière l'étang, il y a mon amant
Papillon blanc de mes tourments
Derrière le temps l'emporte le vent
Me laissant seule à mon tourment.

Et dans le jaune opalescent
Langues de feu et moutons blancs
Voyage vers le firmament
Papillon blanc de mes tourments

Papillon blanc, ailes d'argent
Reviens-t-en avec le printemps
Papillon blanc, rêve d'enfant
Berce-moi tendrement
Et doucement verse en chantant
Un arc-en-ciel dans mon sang. 




Il faut écrire en dentelles


Que faut-il faire ma belle
Sur ton corps de gazelle
Pour faire chavirer les rois ?

Il faut écrire en dentelles
Sur ton corps de gazelle
Pour faire chavirer le roi.

Il faut déployer tes ailes.




L'aile blanche posée


Nous serions couchés là parmi les noirs tombeaux,
L'aile blanche posée sur nos coeurs enlacés.
Nous boirions à la source l'amour et sa lumière.
Vole, amplifie le chant, mène-moi jusqu'à toi.
Debout, tel qu'en toi-même,
Tu diriges mon chant et tu calmes ma peine. 
Cet élan que je porte tu m'en as traversée,
Laisse-moi boire encore, je m'en sens apaisée. 




Lavée, rivée, blessée


Lavée, rivée, blessée, toute nue dans la perte.
Ajourée, limitée, ralentie, vers l'arrière portée.
Caressée, triturée, adulée, inconsciente, attardée.

A défaut de miroir vigilant et austère, 
Les paupières alourdies par tant de mystère.
Ignorée et haïe, limpide tourment ourdi, 

A sa peine l'entraîne l'oubli abîmé d'infini. 

Caressé, embelli, empesé d'azur, 
L'instant et l'éphémère du poids du son amer, 
Caresse délétère crime parfait augure
Attente et flétrissure.

Quand la langue déliée de ses incantations 
peut enfin s'affirmer au présent et sans rimes
Simplement pour le dire debout
Parlant sans errements. 

J'attends aujourd'hui même 
L'homme prince de sang
Qui de ma peine hautaine
Saura baigner le blême
A la source du vent.

Tonnerre, altruisme serein, 

Calme, sans plainte, une brise c'est certain,
Une bouchée d'azur, un arc en ciel 
Battant les miasmes édentés, puants et balbutiants. 



Apaise-toi


Une perle sur la plage trouvée par un soir d'orage.
Une orange dans la main livrée à un étrange destin. 


Apaise-toi au creux de la tempête.
Balbutie ton courage et dis Je dès maintenant.
Desseins à peine ébauchés, talisman à tes pieds.
Lève donc tes armées

Bénis les éléments et qu'ils s'associent 
Pour donner au destin les plus belles harmonies
Tu appelles le beau et non point la chimère.
Alors, dresse-toi et parle !

Tu n'as rien à entendre sinon ta propre voix
De Vie et Joie Porteuse. 





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