25 novembre 2010 _ Journée Internationale contre les violences faites aux femmes


Paris, le 7 mars 2009

Pourquoi ?

Assaillie par d'innombrables sensations provenant du dehors, intruses par effraction dans un espace trop ouvert qui n'a pourtant rien demandé. Laissez-moi mon quant à moi. Laissez-moi à moi-même. Frappez avant d'entrer avec votre cohorte de fantômes crayeux, vos miasmes insinuants. Mais que me voulez-vous à la fin ? Pourquoi cette convoitise, cet appétit hilare. Vous me bavez dessus. Vous m'ouvrez de part en part et personne n'y voit rien. Je suis là à marcher, béante, retenant mes chairs déchirées avec la plus grande contenance. Et pourtant, rien n'y fait. Une note soutenue d'un grave profond m'habite tout entière pendant des jours et des jours, proie de votre convoitise, de votre regard indiscret, concupiscent. Comment osez-vous regarder avec tant d'insistance au dedans de moi ? Personne ne vous y a conviés. Vous projetez ce que votre esprit étroit a entrevu de la vie sur quelqu'un qui justement a voulu s'y livrer à la vie, qui ne s'est pas retranchée dans un espace calciné, désertique comme celui, opaque, absent, où vous voudriez me confiner. Cet espace sans dehors ni dedans. Cet espace pas plus épais qu'un papier à cigarette des gens habités par le dehors, conformes aux normes étouffantes qui leur tiennent lieu de réalité, et dont ils sont tellement imprégnés que leur subjectivité à jamais annihilée n'a même pas eu le temps ni l'espace pour germer. Dehors, ouste, sortez. Laissez-moi à ma vérité, ne m'envahissez pas de votre balourdise gluante. Vous êtes grotesques. Quelles douleurs vous infligez à ma féminité. Comme vous étouffez les élans de vie qui jaillissent, exubérants, par pure joie d'exister. Vous m'oppressez, vous me terrorisez, vous m'agacez, vous me tordez de douleur, vous m'inhibez, vous me diminuez, vous me griffez, vous m'acculez, vous m'acidifiez, vous me scarifiez, vous m'appâtez, vous me vampirisez, vous me momifiez, vous me faîtes regretter d'exister, vous me faîtes maudire ma santé, ma joie de vivre, ma curiosité. Vous m'avilissez, vous me nanifiez, vous m'abêtissez, vous m'angoissez, vous me faîtes me renier, vous me cannibalisez, vous m'avez vidée de mon suc, de mes possibles. Vous êtes la mort, l'effroi, vous êtes les hordes du dehors, les sentinelles de l'horreur, vous détruisez la moindre pousse de vos haleines fétides, de vos remugles acides. Toute candeur est broyée par votre incommensurable ignorance. Vous lancez vos rets sur tout ce qui rayonne et l'opacifiez avec une efficacité insoutenable. Vous me faîtes peur ! Vous me faîtes peur. Je ne peux plus bouger tant le niveleur d'atmosphère me tient sous son jet compact. Il ne me laisse plus respirer. Quel prix j'ai dû payer pour m'éloigner de vos griffes menaçantes. Combien de temps il m'a fallu pour échapper à vos poursuites. Toute ma sève y est passée et là, pourtant, ce qui me reste de vitalité, vous évertuez à la calciner. Faudra-t-il donc que j'inverse ma syntaxe, que je m'entoure de grigris, que je me calfeutre chez moi percluse de rhumatismes, tordue par la peur, laminée par l'ennui, pour que vous me laissiez en paix. Laissez-moi respirer. Laissez-moi rêver. Laissez-moi libre. Laissez-moi à mes envies, à mes désirs. Laissez-moi à ma fantaisie; Vous n'avez aucun droit sur moi. Et pourtant, si vous saviez comme ma vie est dirigée par la peur que vous m'inspirez. Je ne me sens en sécurité nulle par. Je ne peux même pas aller faire une promenade dans un parc sans craindre d'être importunée, salie par l'un de vous. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi dois-je être attentive à tout ce que je dis, à tous mes gestes pour ne pas vous offenser ? Vous ne m'êtes rien et pourtant vous prenez tant de place. Pourquoi ? Pourquoi suis-je si angoissée ? Pourquoi dois-je me cacher dans le coin le plus reculé pour vous échapper, pour ne pas avoir à vous rencontrer et ne pas céder à la panique. Pourquoi ? Quand ? Dans quelle circonstance reculée ? Quelle est la scène archaïque où cette terreur s'est installée ? Une parfaite coupable, comme tous les innocents, voilà ce que vous avez fait de moi. Mais qui êtes vous donc, sans visages, pour vous permettre de m'ébranler ainsi ? Cohorte de sans visages. Les femmes sont-elles donc acculées à porter un voile pour échapper à cet emprisonnement du dehors, à cette succion de leur espace intime, de la moelle de leur être? Doivent-elles porter cet appendice en toute circonstance ,vestige de leurs blessures anciennes ou à venir, rappel de leur infirmité, de la faiblesse de leur sexe qui frémit à la moindre vibration de l'air environnant dès lors qu'elles ont perdu la virginité en esprit ? Dès lors que décillées, toute innocence évanouie, le monde leur grimace au visage ? Le voile leur tient alors lieu d'honneur. IL scelle le pacte de non agression. Il figure le rempart de leur intégrité. La fine membrane qui les sépare du meurtre rituel, du déshonneur, de la déchéance et de l'oubli.