Paris,
le 7 mars 2009
Pourquoi
?
Assaillie
par d'innombrables sensations provenant du dehors, intruses par
effraction dans un espace trop ouvert qui n'a pourtant rien demandé.
Laissez-moi mon quant à moi. Laissez-moi à moi-même. Frappez avant
d'entrer avec votre cohorte de fantômes crayeux, vos miasmes
insinuants. Mais que me voulez-vous à la fin ? Pourquoi cette
convoitise, cet appétit hilare. Vous me bavez dessus. Vous m'ouvrez
de part en part et personne n'y voit rien. Je suis là à marcher,
béante, retenant mes chairs déchirées avec la plus grande
contenance. Et pourtant, rien n'y fait. Une note soutenue d'un grave
profond m'habite tout entière pendant des jours et des jours, proie
de votre convoitise, de votre regard indiscret, concupiscent. Comment
osez-vous regarder avec tant d'insistance au dedans de moi ? Personne
ne vous y a conviés. Vous projetez ce que votre esprit étroit a
entrevu de la vie sur quelqu'un qui justement a voulu s'y livrer à
la vie, qui ne s'est pas retranchée dans un espace calciné,
désertique comme celui, opaque, absent, où vous voudriez me
confiner. Cet espace sans dehors ni dedans. Cet espace pas plus épais
qu'un papier à cigarette des gens habités par le dehors, conformes
aux normes étouffantes qui leur tiennent lieu de réalité, et dont
ils sont tellement imprégnés que leur subjectivité à jamais
annihilée n'a même pas eu le temps ni l'espace pour germer. Dehors,
ouste, sortez. Laissez-moi à ma vérité, ne m'envahissez pas de
votre balourdise gluante. Vous êtes grotesques. Quelles douleurs
vous infligez à ma féminité. Comme vous étouffez les élans de
vie qui jaillissent, exubérants, par pure joie d'exister. Vous
m'oppressez, vous me terrorisez, vous m'agacez, vous me tordez de
douleur, vous m'inhibez, vous me diminuez, vous me griffez, vous
m'acculez, vous m'acidifiez, vous me scarifiez, vous m'appâtez, vous
me vampirisez, vous me momifiez, vous me faîtes regretter d'exister,
vous me faîtes maudire ma santé, ma joie de vivre, ma curiosité.
Vous m'avilissez, vous me nanifiez, vous m'abêtissez, vous
m'angoissez, vous me faîtes me renier, vous me cannibalisez, vous
m'avez vidée de mon suc, de mes possibles. Vous êtes la mort,
l'effroi, vous êtes les hordes du dehors, les sentinelles de
l'horreur, vous détruisez la moindre pousse de vos haleines fétides,
de vos remugles acides. Toute candeur est broyée par votre
incommensurable ignorance. Vous lancez vos rets sur tout ce qui
rayonne et l'opacifiez avec une efficacité insoutenable. Vous me
faîtes peur ! Vous me faîtes peur. Je ne peux plus bouger tant le
niveleur d'atmosphère me tient sous son jet compact. Il ne me laisse
plus respirer. Quel prix j'ai dû payer pour m'éloigner de vos
griffes menaçantes. Combien de temps il m'a fallu pour échapper à
vos poursuites. Toute ma sève y est passée et là, pourtant, ce qui
me reste de vitalité, vous évertuez à la calciner. Faudra-t-il
donc que j'inverse ma syntaxe, que je m'entoure de grigris, que je me
calfeutre chez moi percluse de rhumatismes, tordue par la peur,
laminée par l'ennui, pour que vous me laissiez en paix. Laissez-moi
respirer. Laissez-moi rêver. Laissez-moi libre. Laissez-moi à mes
envies, à mes désirs. Laissez-moi à ma fantaisie; Vous n'avez
aucun droit sur moi. Et pourtant, si vous saviez comme ma vie est
dirigée par la peur que vous m'inspirez. Je ne me sens en sécurité
nulle par. Je ne peux même pas aller faire une promenade dans un
parc sans craindre d'être importunée, salie par l'un de vous.
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi dois-je être attentive à tout ce que
je dis, à tous mes gestes pour ne pas vous offenser ? Vous ne m'êtes
rien et pourtant vous prenez tant de place. Pourquoi ? Pourquoi
suis-je si angoissée ? Pourquoi dois-je me cacher dans le coin le
plus reculé pour vous échapper, pour ne pas avoir à vous
rencontrer et ne pas céder à la panique. Pourquoi ? Quand ? Dans
quelle circonstance reculée ? Quelle est la scène archaïque où
cette terreur s'est installée ? Une parfaite coupable, comme tous
les innocents, voilà ce que vous avez fait de moi. Mais qui êtes
vous donc, sans visages, pour vous permettre de m'ébranler ainsi ?
Cohorte de sans visages. Les femmes sont-elles donc acculées à
porter un voile pour échapper à cet emprisonnement du dehors, à
cette succion de leur espace intime, de la moelle de leur être?
Doivent-elles porter cet appendice en toute circonstance ,vestige de
leurs blessures anciennes ou à venir, rappel de leur infirmité, de
la faiblesse de leur sexe qui frémit à la moindre vibration de
l'air environnant dès lors qu'elles ont perdu la virginité en
esprit ? Dès lors que décillées, toute innocence évanouie, le
monde leur grimace au visage ? Le voile leur tient alors lieu
d'honneur. IL scelle le pacte de non agression. Il figure le rempart
de leur intégrité. La fine membrane qui les sépare du meurtre
rituel, du déshonneur, de la déchéance et de l'oubli.