mardi 26 juin 2012

De l'écorce à la lumière - 16 octobre 2008

            



Claudia Carlisky       Sur des tableaux de Mario Gurfein exposés à la Galerie Lebrun L'église - Paris          

De la lisière de l’euphémisme – De l'écorce à la lumière 

De la redondance du motif aux confins du monde habité, masure persistante, parcelle de bonheur craintif arrachée dans un ultime geste de survie camouflé en toc, en factice, dans l’opacité d’un kitch de secours à l’exultation d’un espace irisé livrant sa haute musicalité conquise sur le vide, les infinies couleurs d’une palette vive et douce.


L’abysse du non sens figurée par un long serpent compact barrant le tableau paysage de toute sa matérialité muette et ses déclinaisons multiples. No pasaras. Toute la futilité de la résorption de la vie se résume à cet implacable verdict. Et pourtant, de cette absence exsude, éclate, une échappée sourde, comme par surcroît, une densité vibratile, pas encore vibrante, la vie à l’œuvre malgré tout. De ce vertige lisse, du désespoir désubstantialisé à l’extrême, filtre… une promesse.

Des nervures, des bruissements de matière colorée et vivante. Oui, la vie dans toute sa complexité organique surgit dans deux petits tableaux ciel et chlorophylle dont les nuances raffinées parlent du souffle originel veillant sur leur gestation. Ils parlent aussi de l’audace à être au cœur de la pulsation du monde, par delà la rhétorique de la figure et la complaisance à s’abandonner à la rythmique de l’espace.

Un baume enfin, une brume d’âme diaphane, la mélodie des sphères à portée du regard, là-bas, aux confins, là où l’imaginaire reprend ses droits, où la lumière rayonne dans un espace infini, où la vie ne bute plus sur l’abscons, où tout est lux, calme et harmonie. Là où les hommes sont transfigurés par l’évidence, ils se laissent toucher par la douce puissance de ses couleurs.

De l’écorce à la lumière, de laborieux, le chemin se fait léger et joyeux. Quand les voiles sont enfin levés, la vérité surgit, splendide.


Laissez-moi la beauté tutélaire


A mon père
Paris, le 29 mai 2000

Adieu, lave. Un froissement sec. Crépitement d'os.

Laissez-moi la libellule et mon collier de larmes.

Laissez-moi la beauté tutélaire et le naufrage.

Laissez-moi rire et laissez-moi pleurer.


J'ai mâché des larmes d'oubli.

J'ai grignoté la moelle de vos os endormis

et j'ai craché des filaments séchés,
des lianes filandreuses de fiel et d'agonie.

J'ai noyé et broyé, souillé et piétiné.

et de ce machouillis infâme est né un égrégor

fait de toutes les lames, miroirs de mauvais sorts,

m'en suis enduit le corps.
J'ai trépigné, psalmodié, attisé,

arraché l'épaisse boue qui dénature.

En trouées de lumière, de mes sanglots enfouis,
jaillissant comme un cri,

j'ai craché du lilas, du bleu, de l'amarante, des oranges solaires,

des carmins cristallins, des bleus céruléens,



J'ai lavé les orgies, rougi les amnésies,

j'ai craquelé l'absence, étanché la souffrance,

puis je me suis assise.


J'étais seule.

Article d'Alicia Dujovne Ortiz paru dans Resonancias literarias sur ma poésie




Poesía
01 03 2007


                                                                                                                                     
Claudia Carlisky entre la matière et la Loi, par Alicia Dujovne Ortiz 

La preuve de la cohérence interne et de l’authenticité de cette poésie c’est l’auteur, elle-même, qui me l’a donnée, il y a de cela quelques années, lorsque j’ai présenté son œuvre dans une galerie parisienne. J’avais préparé les questions de rigueur, pensées pour que le public, lecteur ou non de poésie, reçoive des lèvres de la poète quelques indications qui lui servent de boussole.Claudia Carlisky m’a écoutée avec gentillesse et m’a répondu à sa façon. Ses réponses consistèrent à lire les poèmes qui pour elle sans l’ombre d’un doute
en était la plus éclatante explication. A aucun moment elle n’eut recourt à un langage intermédiaire qui servit de pont. Ce qu’elle avait voulu dire était, et dans la seule langue possible, celle du poème. Ne parlait-il pas de lui-même ? A cet instant, j’eus la sensation que si Claudia avait eu l’obligation de s’expliquer avec d’autres mots que ceux de son poème, comme Saint-Jean de la Croix ou Sainte-Thérèse d’Avila, à qui leurs confesseurs ordonnèrent de gloser sur leur poésie pour la mettre à la portée de tous, elle aurait fait la même chose qu’eux, un autre poème.
L’excellent poète argentin, Edgar Bayley a écrit sur le caractère « forcé » de l’acte poétique. Ce n’est pas une expression très jolie mais elle remplit parfaitement sa fonction : indiquer l’existence d’une poésie qui ne peut être autre chose que ce qu’elle est, et qui, partant d’une nécessité forcée (c’est-à-dire de quelque chose qui n’aurait pas pu ne pas être écrit), ne peut s’exprimer que d’une seule façon, la sienne.
La référence aux deux mystiques espagnols n’est pas fortuite. Claudia Carlisky s’adresse ouvertement au destinataire occulte, mais bien palpable ou respirable, de sa poésie, dans un seul de ses poèmes, « Offrande». Là, elle l’appelle, sans ambages, « Seigneur ». Dans les autres, son nom est « feu » (« nostalgie du feu », « doux feu de la bonté »), à moins qu’on ne le reconnaisse comme « la rive fraîche d’un ruisseau » où l’on parvient enfin, ou comme « le continent perdu » que l’on recherche sans relâche. Ce lieu ou être ardent et rafraîchissant est l’un des deux pôles de l’œuvre de Claudia. L’autre est la matière. Trois degrés ou marches semblent la composer. Nous somme devant une matière alternativement sentie comme enfermement (« langueur moribonde », « malentendus, paresse », « manque à être ») ou savourée avec une sensualité gourmande qui annonce la sortie de la prison charnelle (« lactescence gustative », « abundante abertura » ; ou perçue dans sa porosité, dans sa nature translucide (« pulpe veinée de lumière »). Le passage de la matière fermée à la lumière ouverte nous mène du « glauque » et « gélatineux » qui provoque rejet et répugnance à « travers la transparence tactile de la chair des mots » et de la chair amoureuse où l’on peut connaître les « saveurs indicibles » (plaisir de la poésie, plaisir de l’amour) jusqu’à ce que le « Seigneur » offre à la fin du chemin : « l’étendue de ton bien ».Ce « Seigneur » a un genre bien déterminé. Si bien déterminé que toute la poésie de Claudia Carlisky suggère une douloureuse traversée qui va de la mère au père, de la « paix mousseuse du giron maternel » jusqu’à la purification par « l’air de la Loi », Loi en majuscules, Loi paternelle qui ouvre les poumons et libère l’accès à l’innocence. Pas un retour, pas un retour à l’enfance mais y parvenir après un long voyage. Les poèmes légers de Claudia Carlisky, des chansonnettes dansées sur la pointe des pieds sonnent comme une récompense, une légèreté gagnée et méritée. "L’étendue de ton bien" rentre dans deux ou trois vers pleins de clarté.
Entre les deux pôles de la matière et de la Loi s’étend l’attente. Claudia a peint cette attente dans l’un de ses tableaux, utilisant une matière saturée de lumière. L’attente n’a pas été vaine, les « ventouses de rien » appliquées sur une chair évanouie comme d’une « orchidée pleine de langueur » sont devenues plénitude. Poésie mystique ? En tout cas, poésie dont le début est nostalgie et dont la conclusion est une célébration.
Traduction - Claudia Carlisky


http://www.resonancias.org/content/read/648/






lundi 25 juin 2012

Le silence reviendra sur ses pas

Claudia Carlisky
Le silence reviendra sur ses pas

Poème nominé au Concours Simone Landry le 8 mars 2010,
Journée Internationale des Femmes

Paris, le 29 mai 2000

Par petites touches j'arriverai au coeur des choses,
là où la nature se désaltère.
Alors, peut-être oserai-je la fidélité.
Alors, peut-être le silence me fera-t-il une place en sa présence.

L'armée des ombres, gardienne spéculaire,
Aplanira ses ailes et s'effacera.
J'aurai alors les trois étoiles pour guider mon regard
Et les deux lions pour diriger ma route.

Lorsque j'arriverai au coeur des choses,
là où la ligne et le tracé ne font plus qu'un,
J'oserai habiter le silence et pardonner aux signes
Leur incommensurable lenteur,
Ma torpeur et ma dette.

Lorsque je parviendrai au seul vouloir,
Oh oui, lorsque je parviendrai au seul vouloir,
Là où la route se fait étroite et le chant profond,
Là où le chant se fait aigu, non pas grêle mais clair,
Le silence reviendra sur ses pas. Il surgira, intact,
De cette enfance sans équivoque où les oiseaux ne craignaient rien.