Les
boucles d'oreilles posées sur la table lui faisaient penser à deux
lions sentinelles protégeant quelque trésor ou à deux casques de
chevaliers scintillant à la veille d'une bataille.
Elle
n'avait aucun pouvoir sur le flot de ses récits et surtout pas sur
leurs méandres, comptant sur chaque accident de la route pour
ralentir ou accélérer leur débit, évitant tel ou tel écueil,
s'agrémentant d'entrelacs ou du tumulte d'un jaillissement inattendu
selon l'ordre des cailloux ou de la mousse spongieuse rencontrés en
chemin. L'armée des ombres veillait, tapie au fond, recouverte d'une
eau saumâtre repoussante, camouflée tour à tour en porteuse de
malaria, de dysenterie, ou de fièvre abyssales. Elle n'osait y
porter la pointe de son bâton, pressentant une découverte
embarrassante. La faune grotesque qui en cachait l'entrée
allait-elle lui sauter au visage ? Parviendrait-elle à l'écarter
pour en tirer son alphabet, pour gravir l'échelle du sens qui
l'habitait, elle en était certaine. Sa lâcheté, c'était bien ça,
sa lâcheté l'empêchait d'affronter la face livide qu'elle
discernait au-dessous d'elle. L'air était traversé de courants
frigorifiants. Ses membres se tétanisaient. Elle sentait que si elle
ne trouvait pas l'élan de jeter un pavé dans la mare, l'effroi
d'avant les commencements aurait tôt fait de geler toute tentative.
Des sueurs froides traversaient son corps. Ses yeux parcourus de tics
nerveux scrutaient la fange striée de quelques rais de lumière.
Un
éclair traversa son esprit alors que son regard se portait vers un
éclat d'or pur. Une pierre d'un bleu inouï incrusté de filaments
et de virgules d'or émergeait de cette boue indistincte. Des rayons
rougeoyants d'une lumière crépusculaire accompagnèrent les gestes
nerveux et précis qui lui permirent d'extraire à l'aide de son
bâton un caillou poli par le temps au formes tantôt arrondies comme
un galet, tantôt prismatiques comme un diamant de la dimension d'un
poing. C'était, elle en était maintenant certaine, un lapiz-lazuli.
La pierre des merveilles au bleu profond comme un ciel afghan
reposait à présent dans sa main apaisée. La lumière rasante du
soleil couchant lui indiquait la route du retour. L'esprit et le
coeur léger, elle sut alors qu'elle ne craignait plus rien.
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